Comment
apprendre à penser par soi-même ? C’est de cette question que découle le
projet de Wajdi Mouawad « Avoir 20 ans en 2015 ». Il lui-même
illustré, du 8 mars au 2 avril, au théâtre de Namur, par l’exposition libre
« Adolescence : la fabrique des héros », que nous pouvons
également retrouver à Mons.
Le
projet de W. Mouawad est né alors que l’artiste se demandait comment rendre la
pareille à tous ceux qui lui avaient permis de murir en tant qu’adolescent. Il
s’est dit que le seul moyen était de l’apprendre à d’autres. De là, en deux-mille-onze,
il a sélectionné cinquante jeunes de quinze ans, dont vingt Belges, à qui il a
proposé diverses activités, artistiques notamment, durant les vacances d’été pendant
cinq ans. Leur base : une réplique tirée d’Incendies, une pièce de Mouawad : « Écoute ce qu’une vielle femme qui va mourir a à te
dire : apprends à lire, apprends à écrire, apprends à compter, apprends à
parler. Apprends. » Chaque
année a représenté l’un de ces aspects, cinq actes, en quelque sorte, dont le
dernier est : apprends à penser.
Parallèlement,
Ils ont été régulièrement et individuellement interviewés par une doctorante de
l’UCL : Chloé Colpé, qui a tenté, en tant que chercheuse en sciences
sociales, de comprendre l’influence d’une telle expérience dans la vie de ces
jeunes gens en pleine construction. Chaque année revenaient les cinq mêmes
questions, choisies par Mouawad : « Qu’est-ce qui t’inquiète ? »,
« Qu’est-ce qui te fait lever le matin ? et qu’est-ce qui ferait que
tu ne puisses pas te lever ? », « En quoi ou à quoi tu
crois ? » et « Quel est ton plus grand rêve ? ». Pour
certains, les réponses n’ont que rarement changé alors que pour d’autres, elles
ont évolué avec eux et leur état d’esprit. Ce projet leur a inculqué une notion
de « croire en soi ». Un jeune homme à la réflexion très poussée a
notamment dit qu’il était lui-même son meilleur ami, le plus apte à croire en
lui. L’ensemble de ces réponses sont souvent bien personnelles et les individus
se sont mis à nu pour nous faire part de leur évolution
la plus profonde.
Mouawad explique
que vingt ans, c’est l’âge du héros (notamment dans la mythologie grecque qu’il
connaît bien) mais qu’aujourd’hui, nous disons à nos héros qu’ils sont trop
jeunes, qu’ils ne devraient pas avoir d’enfant avant trente-cinq ans, qu’ils ne
savent pas réellement ce qu’ils veulent,… On pense à leur place ou on attend
d’eux certaines choses bien particulières mais ne savons pas ce qu’eux-mêmes en
pensent. Il raconte avec virulence que tu
es né et que personne n’est né à ta
place, que tu mourras et que personne
ne mourra à ta place. Ce qui se
trouve entre les deux t’appartient
par conséquent.
Selon lui,
l’adolescence, c’est fabriquer ses armes. C’est voyager en questionnant le
monde et en se questionnant soi-même. Selon lui, l’adolescence, c’est un
sentiment. C’est partir en guerre contre le monde afin d’y trouver sa place.
C’est se louper et s’aimer à travers beaucoup d’expériences insignifiantes aux
yeux des autres. C’est suspendre le temps entre la nostalgie, la projection et
l’instant présent. Selon lui, l’adolescence, c’est un débat permanent. C’est
faire des études, mais sérieuses ; trouver un travail, mais avec un bon
salaire ; construire une famille, mais ni trop tôt, ni trop tard ;
tout cela en restant épanoui. Comme le dit C. Colpé, « Il faut au moins
être un héros pour affronter ces injonctions contradictoires. ». Selon
lui, l’adolescence, c’est se débrouiller avec la vie. C’est apprendre à
affronter ses peurs, à reconnaître celles des autres, celles qui paralysent et
réduisent le futur possible.
En
conclusion, le mixage de deux projets d’une durée de cinq ans, autour d’une
cinquantaine d’adolescents emballés par le personnage et le talent de Wajdi
Mouawad, leur ont appris, à travers le théâtre, à penser et réfléchir par
eux-mêmes et auront des conséquences qui dureront jusqu’au bout de leur vie
d’adulte qui commence.
Chloé Englebert, 6G